mercredi 9 juillet 2014

Un festival de soleil

On croirait parfois faire partie d'un monde créé de toute pièce par une romancière. Une page blanche à travers laquelle elle place des personnages sur notre chemin au moment précis où nous avons besoin d'eux; elle insère de décevants obstacles qui se métamorphosent en tremplin vers le ciel; elle rit en nous voyant passer à vive allure par une montagne russe d'émotions. À la fin de la journée, elle s'assure que nous ayions le sourire. Et n'est-ce pas tout ce qui compte?

Première chose à mettre au clair pour de potentiels visiteurs, il ne fait pas si chaud que ça à Kangirsuk l'été. J'avais entendu qu'il pouvait faire 30C, mais on faisait probablement référence à des journées éparses à Kuujjuaq. Ici, il fait 12C quand il fait soleil. Lorsque les nuages et le vent règnent, on parle d'une poignée de degrés. À tel point que l'avion couvrant la Baie d'Ungava est resté cloué au sol durant 3 jours la semaine dernière à cause du brouillard. Vendredi, j'étais à Wakeham Bay, près de l'extrémité nordique. La pluie était froide, le vent mordant, la populace maussade. Une courte marche m'a mené à un tristounet terrain de baseball.

J'ai attendu 4 heures à l'aéroport avant de me faire dire que mon vol de retour était remis au lendemain. Je pestais contre l'épicerie qui avait fermé ses portes prématurément sans aucun motif valable, tout en songeant avec envie à la bonne bouffe qui m'attendait dans mon propre congélateur. Je me suis couché tôt en souhaitant un rayon de soleil le lendemain. J'ai été servi.


Vous aurez compris que Wakeham Bay est communément désigné comme le village enchanteur du Nunavik. La marée s'est chargée de ramener des blocs de glace afin de compléter le portrait. Mon avion a finalement décollé avec un autre 4 heures de retard cette journée-là, mais peu importe.

La disparition des glaces ouvre la porte aux bateaux de cargo. Ceux-ci ravitaillent les villages nordiques en nourriture, matériaux de construction et véhicules divers. On profite des quelques mois de beau temps pour construire et rénover. La venue du cargo est également attendue de pied ferme par les locaux qui ont immanquablement la chance d'y trouver des cargaisons d'alcool, légales ou non. Les policiers n'ont pas beaucoup dormi dans les jours entourant la fête du Canada... Le premier bateau est arrivé le 29 juin, le dernier naviguera en octobre. La saison est très courte!

                                                    Avis aux femmes célibataires, les travailleurs de la
                                                                               construction sont légion  ces temps-ci.

La marée mérite que je m'y attarde pour plusieurs raisons. La Baie d'Ungava nous offre quotidiennement un spectacle fascinant, soit la deuxième plus haute marée au monde à environ 52 pieds. Au premier rang? La Baie de Fundy, 53 pieds. D'ailleurs, je ne saurais insister suffisamment afin que vous visitiez les Maritimes pour des vacances abordables et inoubliables; la nature y règne encore dans toute sa splendeur. Revenons au Québec. La marée passe généralement du plus haut au plus bas en +/- 6h15. Elle me surprend encore par sa rapidité, même après plusieurs semaines.

                                                                        Marée haute.

                                                                           Marée basse.               

Un autre motif pour se préoccuper des marées est évidemment ce qu'elle peut nous procurer. Plusieurs Inuit racontent que les pleines et nouvelles lunes sont les plus propices à glaner les moules. Il semble qu'elles se cachent sous les algues à marée basse. J'expérimenterai ma première pleine lune de l'été ce samedi et je compte bien arpenter la plage à marée basse à 3h15am. 

                                                   Maigre butin en attendant les récoltes en or.

Enfin, une marée de haut niveau représente LA source de bonheur au village, puisque c'est synonyme de pêche! Oubliez tout ce que vous avez vécu dans ce domaine, on ne joue pas du tout dans la même ligue à Kangirsuk. Imaginez des conversations quotidiennes sur l'horaire des 2 marées hautes afin de planifier nos escapades; des bandes d'enfants de 8 ans qui manient la canne d'une main experte; des ombles chevaliers de 10 livres qui sont la norme en attendant les placards de 15 livres du mois d'août; des blancs et des Inuit qui partagent les berges, s'encouragent, s'entraident.


Cet emplacement de pêche est reconnu comme le plus généreux et il est à 4 minutes de marche de chez moi. On descend les roches, on lance la ligne, on mouline tranquillement et on recommence! Durant une même session, le mouvement peut être répété des centaines de fois. Le froid, le vent et la pluie se mettent parfois de la partie, mais qu'à cela ne tienne. On apprend rapidement de quelle manière ramener le poisson, mais surtout comment s'en emparer à mains nues pour éviter qu'il ne s'échappe. Le plus difficile est de préparer ses propres filets; le sang gicle, le poisson glisse et les arêtes se multiplient. L'expérience est cruciale. En comparaison, l'omble chevalier est un poisson qui s'apparente au saumon, au niveau de la couleur de la chair et du goût.

                                                                       

                                          Un poisson peut convenablement nourrir 4 personnes.

Ma plus belle expérience de pêche jusqu'ici s'est déroulée samedi dernier. Suite à un souper et un énorme feu, on retraite à nos quartiers respectifs pour la nuit. Prétextant la fatigue, nous avions rejeté l'idée de profiter de la marée haute de 3h05am. Un bon film m'a par hasard mené à 2h30. À ce point, je n'avais plus le choix. J'ai rassemblé mon équipement et me suis dirigé vers l'amoncellement de roches bénies. L'eau était calme, le temps semblait s'être arrêté. Le ciel affichait encore quelques couleurs. Les canards volaient gracieusement. J'étais seul au paradis. Puis, tout s'est déchaîné. Mon hameçon est devenu la vedette sous-marine. Quelques poissons ont mordu avant de s'éclipser. D'autres suivaient ma ligne jusqu'au rivage sans oser la gober. Certains se se sont retrouvés à quelques pouces de mes mains avant que l'instinct de survie ne les arrache de l'hameçon. Au travers de cela, 3 garçons d'une dizaine d'années sont venus me tenir compagnie et échanger des trucs. 2 filles du même âge sont également venues pêcher juste au bon moment.

                                               Oui, je fais bien rire de moi avec ma canne de 9 pieds...

Le décompte final faisait état de 3 ombles et d'une fantastique sérénité. Tout indique que je mangerai du poisson on ne peut plus frais à chaque jour pour les prochaines semaines. Pas facile la vie.

Dans 2 semaines, c'est le festival de l'Arctic Char à Kangirsuk. La semaine suivante, je planifie une expédition au Parc National de Pingualuit. L'été s'annonce chargé. L'histoire continue de s'écrire.