jeudi 23 janvier 2014

Kangirsuk

On retrouve Kangirsuk à environ 230km au nord de Kuujjuaq. Il était initialement prévu que j'y installe mes pénates au début du mois de décembre. Les choses étant ce qu'elles sont au Nunavik, mes services sont encore requis à Kuujjuaq, et ce au moins jusqu'à mes vacances en mars. Je ne m'en plains pas, même si j'ai bien hâte de vivre le quotidien d'un petit village. J'ai présentement la chance d'en avoir un aperçu puisqu'on m'a envoyé à Kangirsuk 3 jours question d'effectuer de la reconnaissance, mais surtout de récupérer quelques trucs. En effet, les valises amenées à Kujjuuaq avaient été préparées dans l'optique d'y passer 2 semaines, pas 4 mois. La majorité de mes effets avait été envoyée par cargo directement à Kangirsuk. Tout cela pour dire que je me débrouille avec pas de bottes d'hiver, pas de précieuses barres Vector, mais surtout vêtu des mêmes 5 t-shirts depuis bientôt 2 mois. Ayant travaillé sans arrêt depuis mon arrivée, ces trois jours m'apparaissaient un peu comme des vacances. Quoique pour être franc, il n'y a personne de sain d'esprit qui déciderait de partir de Montréal pour 2 semaines de vacances à Kangirsuk. Et pourtant...

Le vol s'effectue à bord d'un avion d'une soixantaine de places, mais nous ne sommes qu'une douzaine en ce mercredi après-midi. L'appareil se rendra jusqu'à Salluit tout en haut. Il doit effectuer des arrêts à pratiquement tous les petits villages en chemin, mais j'ai la chance de débarquer en premier. Une bagatelle de 45 minutes illuminé d'un soleil glorieux, difficile de demander mieux. Ce qui frappe le plus lorsque l'on regarde par le hublot? Il n'y a rien. Pas même des arbres (on a dépassé le tree line). Que de la neige et de la glace à l'infini...


La jolie hôtesse de l'air a tout juste le temps d'expliquer les mesures de sécurité dans les trois langues et de distribuer une collation que déjà l'on voit surgir Kangirsuk. Ça s'apparente probablement au sentiment d'un astronaute qui rencontre un minuscule astéroïde au beau milieu de l'espace. L'aéroport est à peine plus grand que mon appartement.


Un vieil Inuk vient me prendre en voiture. Nous descendons la montagne vers la civilisation. Kangirsuk a été bâti entre de hautes montagnes, ce qui accentue le sentiment d'être seul au monde. Nous faisons un tour rapide du village, ce qui prend environ 3 minutes. Il faut dire qu'à 550 habitants... Je vous épargne les détails sur mon appartement aux couleurs et à la propreté des années 80 (soi-disant qu'il n'a pas été habité depuis des mois). Voici plutôt un petit tour guidé du village:

                                           L'aréna. Remarquez le K habilement glissé à la place du H.

                                                   L'équipe locale affiche fièrement ses bannières de la Coupe Stanley.

                                        L'école. Pourquoi n'avons-nous pas également de jolis dessins sur la façade de nos                                                                                              établissements publics. Il y en a partout dans le Nord.

                                                  Les traîneaux sont pratiques pour le transport de matériel en skidoo.

On ajoute 2 épiceries qui ne tiennent comme viande que du congelé à des prix outrageux, ainsi qu'un poste de police et on a fait le tour de ce qui se passe à Kangirsuk. Quelques informations en vrac:

Il y a une dizaine de blancs qui vivent ici et tous travaillent en tant que policier ou à l'intérieur du CLSC. Ce dernier regroupe en permanence 3 infirmières et 2 travailleurs sociaux. Il accueille également le dentiste, le pédiatre et autres professionnels de la santé à l'occasion de leur visite mensuelle ou trimestrielle. Les gens du Sud se regroupent souvent pour des soupers ou des parties de poker (j'ai hâte de les plumer!). Le taux de roulement est très élevé parmi les employés pour des raisons évidentes Au moment de mon passage, une travailleuse sociale était en congé de maladie, ce qui accentue la pression sur ses collègues qui quitteront potentiellement à leur tour en maladie. C'est un cycle sans fin.

Il faut seulement tirer la chasse de la toilette suite à un #2. Bien sûr, l'eau se faire rare ici, mais plusieurs personnes affirment que l'on devrait observer cette règle dans les grandes villes afin de sauvegarder l'eau. J'approuve. On s'habitue vite.

C'est froid. Très froid. Rien à voir avec Kuujjuaq qui nous protège généralement du vent avec ses arbres et ses bâtiments. Heureusement, les distances à couvrir sont très courtes.

Les voitures ne sont pas légion. Le skidoo est privilégié. Quelques conducteurs ne portent ni chapeau ni mitaines, c'est à n'y rien comprendre.

L'alcoolisme fait des ravages. La plupart des habitants consomment alcool et/ou drogue. Semble-t-il que la cocaïne et le speed ont fait leur apparition récemment. On retrouve ces affiches un peu partout. L'objectif est de sensibiliser les gens au montant d'argent démesuré investi dans ces substances :


Kangirsuk est reconnu comme un endroit par excellence pour taquiner le poisson. Faute de véhicule, je n'aurai pas pu expérimenter la pêche hivernale qui se pratique plus loin. À tous les deux ans, en juillet, le village accueille le festival de l'Omble chevalier. On retrouve abondamment de ce poisson, dont la chair rappelle celle du saumon. J'ai vu des photos et ils sont énormes. L'été, on peut descendre sur la plage et simplement y ramasser des moules frais élégamment déposés par la marée.

Le vide qui m'entoure semble faire écho à mes pensées qui ne m'ont jamais parues si claires. Si tout se passe comme prévu, ce sera mon quotidien à compter d'avril. Être au beau milieu de nulle part prend tout son sens ici...




lundi 6 janvier 2014

Vivre à Kuujjuaq

C’est le début d’une nouvelle année, les oiseaux chantent, le soleil brille et l’optimisme règne. Kuujjuaq n’y fait pas exception. Alors, oublions un instant les difficultés nordiques et approfondissons le quotidien dans la métropole du Nunavik.

4 heures. Il s’agit du temps quotidien durant lequel le soleil daignait se montrer le bout du nez à l’approche de Noël. Depuis une dizaine de jours, il prend graduellement de l’assurance, tout en se gardant encore une grosse gêne. Il se compare à une très jolie fille qui n’aime pas sortir en public. En son absence, on ne pense pas à elle, on oublie son existence et l’on songe bonnement à ce que l’avenir nous réserve. Mais quand elle fait son apparition, attention! Les bonnes gens se massent dans les rues pour inhaler son doux parfum, les arbres sourient aux passants, les chiens éblouis se lancent dans une vaine poursuite de leur ombre reflétée sur les diamants blancs qui recouvrent tout, tout, tout. Elle passe devant sans nous adresser la parole? Ce n’est pas bien grave, son sourire aura illuminé notre journée et on attend qu’elle nous refasse la grâce de sa présence le lendemain. Pour moi, la dépression saisonnière n’existe pas ici. Au contraire, on tombe sous le charme de Dame Nature jour après jour.

                            Dur de croire que l'eau n'est pas gelée à certains endroits.        
                                  
Mon moment favori de la journée se situe entre 22 et 23h. Afin d’oublier un autre navrant revers du Canadien, j’enfile 4 couches de vêtements et me dirige à l’extérieur. Je sors des limites du quartier résidentiel afin d’échapper aux lueurs de la ville. La seule musique à mes oreilles est le crissement de mes pas dans la neige. Je lève les yeux vers le ciel où les étoiles sont en fête et veillent sur nous. Parfois, une source digne de confiance m’informe d’un potentiel élevé d’aurore boréale. Dans la noirceur de vendredi, j’ai donc parcouru une montagne rocheuse en fixant le firmament durant un long moment. Sans succès. C’est l’apparition d’un renard à quelques pieds de moi qui m’a ramené à la réalité. J’ai pensé l’assassiner et m’emparer de sa fourrure pour en faire un foulard, mais je suis conscient que plusieurs d’entre vous ne m’auraient plus adressé la parole…

La motoneige est partie intégrante du décor nordique. En effet, pratiquement tous les Inuit en possèdent un; certains pour leurs déplacements quotidiens, la majorité pour la chasse. Afin de les accommoder, les routes sont désignées sentiers municipaux. Je l’avais mentionné, ça implique que le code de la route ne s’applique pas ici. Naturellement, cela amène toutes sortes de personnes de tous âges à prendre le volant… Les motoneigistes s’en donnent à cœur joie et dévalent les routes à des vitesses phénoménales. Les piétons doivent faire attention, surtout la nuit. D’ailleurs, il n’y a pratiquement personne dans les rues avant 11h le matin; les Inuit sont des couche-tard. La nuit par contre, on entend une symphonie de motoneiges au loin. On s’y habitue, comme une berceuse qui nous mène joliment vers le sommeil. Je repense à mon premier face-à-face avec un Inuk que je qualifierais de particulier. Je revenais du travail et aperçu un homme qui tentait de sortir sa motoneige du trou dans laquelle elle était embourbée. Suite à une vingtaine de minutes de déneige-pousse-recule, on arrive à nos fins. Fou de joie, il effectue une boucle un peu plus loin avant de se diriger vers moi à toute vitesse. Il m’aurait bêtement tué si je n’avais pas sauté de côté pour éviter une mort saugrenue. L’homme s’est arrêté pour ramasser ses deux fils, tout en me remerciant gaiement.

                               La grande majorité des habitants arborent
                                          au moins un skidoo dans leur cour.

Le cinéma est à l’intérieur de l’hôtel de ville. Il diffuse un film vieux de quelques mois et ce, 2 soirs/semaine. Les deux bars de la ville sont parfois fermés et accueillent des personnages plus ou moins amicaux. De toute façon, le prix de l’alcool est suffisant pour calmer la soif. Deux épiceries vendent également meubles, vêtements… Ne recherchez pas le dernier cri; les fauteuils nous viennent directement des années 90. La nourriture est un important sujet de conversation au Nord. On retrouve sensiblement les mêmes emballages qu’au Sud dans les épiceries, mais les prix sont catapultés à la stratosphère suite au transport par avion. Des subventions ont été mises en place afin de préserver un tarif raisonnable pour les aliments santé de base (lait, pain, œufs, etc.). Cependant, les Inuit s’alimentent très mal; j’apprenais aujourd’hui que les meilleurs vendeurs de l’épicerie sont les pizzas congelés, les chips et le « pop » (Coke, Sprite…). Les Inuit de tous âges adorent le pop, tant et si bien que la promesse d’une canette gratuite est le moyen reconnu pour s’assurer de la participation des gens aux activités communautaires, comme un atelier de couture ou une rencontre de A.A. Bref, le pot de jus de tomate est 7$, les délectables Lay’s sel et vinaigre sont 6$ et le 2L de Tropicana est 12$. Et il semblerait que les options diminuent et les prix augmentent plus on s’aventure vers le nord. On m’a d’ailleurs recommandé de remplir mon sac de viande lors du transfert vers mon village puisqu’on n’y retrouve plus de boucher. Une motivation supplémentaire pour apprendre à chasser… J’oubliais qu’il y a un gym aussi! 60$/mois donne accès à un local réduit et peu entretenu. Petit prix à payer pour un corps et un esprit sain.

Je ne peux pas parler au nom de mes compatriotes nordiques, alors je prendrai un ton plus personnel. Après avoir parcouru plus de 1000 mots incluant une métaphore sur le soleil, vous avez probablement l’impression qu’il n’y a rien à faire ici, que l’unique loisir est de rêver aux prochaines vacances, à la grande ville avec ses cinémas, ses lumières, sa musique, ses millions d’individus. Et bien non. Je veux prendre l’air? Il y a des kilomètres de merveille à ma disposition. Je veux de la compagnie? Je contacte des voisins (on est tous voisins ici) pour souper. Je veux magasiner? Amazon.ca. J’ai du temps pour retrouver le temps dont on ne dispose pas en ville; apprendre l’espagnol, en ligne entraîner mes jambes pour un prochain marathon, développer mes habiletés de chasse et de pêche… En quittant la grande ville, je désirais prendre un temps d’arrêt. Souffler un peu. Vivre une épopée. Redéfinir des priorités. Rencontrer de nouvelles personnes. Sortir de ma zone de confort. Et il est là le message que j’aimerais vous transmettre en ce début d’année. N’ayez pas peur de prendre des risques!! Il est trop facile de chausser ses vieilles pantoufles usées sans se poser de questions. Que ce soit un déménagement, un changement d’emploi ou une réévaluation de sa relation de couple, n’attendez pas plus longtemps! On ne vit qu’une fois. Aussi bien vivre intensément.
 
                                  J'ai officiellement enterré la hache de guerre avec
                                             les chiens. Ce deux compères m'ont suivis pas à pas 
                                             durant une randonnée de 2h samedi dernier. Ils
                                             sont tranquillement retournés chez leurs maîtres
                                             par la suite.