lundi 6 janvier 2014

Vivre à Kuujjuaq

C’est le début d’une nouvelle année, les oiseaux chantent, le soleil brille et l’optimisme règne. Kuujjuaq n’y fait pas exception. Alors, oublions un instant les difficultés nordiques et approfondissons le quotidien dans la métropole du Nunavik.

4 heures. Il s’agit du temps quotidien durant lequel le soleil daignait se montrer le bout du nez à l’approche de Noël. Depuis une dizaine de jours, il prend graduellement de l’assurance, tout en se gardant encore une grosse gêne. Il se compare à une très jolie fille qui n’aime pas sortir en public. En son absence, on ne pense pas à elle, on oublie son existence et l’on songe bonnement à ce que l’avenir nous réserve. Mais quand elle fait son apparition, attention! Les bonnes gens se massent dans les rues pour inhaler son doux parfum, les arbres sourient aux passants, les chiens éblouis se lancent dans une vaine poursuite de leur ombre reflétée sur les diamants blancs qui recouvrent tout, tout, tout. Elle passe devant sans nous adresser la parole? Ce n’est pas bien grave, son sourire aura illuminé notre journée et on attend qu’elle nous refasse la grâce de sa présence le lendemain. Pour moi, la dépression saisonnière n’existe pas ici. Au contraire, on tombe sous le charme de Dame Nature jour après jour.

                            Dur de croire que l'eau n'est pas gelée à certains endroits.        
                                  
Mon moment favori de la journée se situe entre 22 et 23h. Afin d’oublier un autre navrant revers du Canadien, j’enfile 4 couches de vêtements et me dirige à l’extérieur. Je sors des limites du quartier résidentiel afin d’échapper aux lueurs de la ville. La seule musique à mes oreilles est le crissement de mes pas dans la neige. Je lève les yeux vers le ciel où les étoiles sont en fête et veillent sur nous. Parfois, une source digne de confiance m’informe d’un potentiel élevé d’aurore boréale. Dans la noirceur de vendredi, j’ai donc parcouru une montagne rocheuse en fixant le firmament durant un long moment. Sans succès. C’est l’apparition d’un renard à quelques pieds de moi qui m’a ramené à la réalité. J’ai pensé l’assassiner et m’emparer de sa fourrure pour en faire un foulard, mais je suis conscient que plusieurs d’entre vous ne m’auraient plus adressé la parole…

La motoneige est partie intégrante du décor nordique. En effet, pratiquement tous les Inuit en possèdent un; certains pour leurs déplacements quotidiens, la majorité pour la chasse. Afin de les accommoder, les routes sont désignées sentiers municipaux. Je l’avais mentionné, ça implique que le code de la route ne s’applique pas ici. Naturellement, cela amène toutes sortes de personnes de tous âges à prendre le volant… Les motoneigistes s’en donnent à cœur joie et dévalent les routes à des vitesses phénoménales. Les piétons doivent faire attention, surtout la nuit. D’ailleurs, il n’y a pratiquement personne dans les rues avant 11h le matin; les Inuit sont des couche-tard. La nuit par contre, on entend une symphonie de motoneiges au loin. On s’y habitue, comme une berceuse qui nous mène joliment vers le sommeil. Je repense à mon premier face-à-face avec un Inuk que je qualifierais de particulier. Je revenais du travail et aperçu un homme qui tentait de sortir sa motoneige du trou dans laquelle elle était embourbée. Suite à une vingtaine de minutes de déneige-pousse-recule, on arrive à nos fins. Fou de joie, il effectue une boucle un peu plus loin avant de se diriger vers moi à toute vitesse. Il m’aurait bêtement tué si je n’avais pas sauté de côté pour éviter une mort saugrenue. L’homme s’est arrêté pour ramasser ses deux fils, tout en me remerciant gaiement.

                               La grande majorité des habitants arborent
                                          au moins un skidoo dans leur cour.

Le cinéma est à l’intérieur de l’hôtel de ville. Il diffuse un film vieux de quelques mois et ce, 2 soirs/semaine. Les deux bars de la ville sont parfois fermés et accueillent des personnages plus ou moins amicaux. De toute façon, le prix de l’alcool est suffisant pour calmer la soif. Deux épiceries vendent également meubles, vêtements… Ne recherchez pas le dernier cri; les fauteuils nous viennent directement des années 90. La nourriture est un important sujet de conversation au Nord. On retrouve sensiblement les mêmes emballages qu’au Sud dans les épiceries, mais les prix sont catapultés à la stratosphère suite au transport par avion. Des subventions ont été mises en place afin de préserver un tarif raisonnable pour les aliments santé de base (lait, pain, œufs, etc.). Cependant, les Inuit s’alimentent très mal; j’apprenais aujourd’hui que les meilleurs vendeurs de l’épicerie sont les pizzas congelés, les chips et le « pop » (Coke, Sprite…). Les Inuit de tous âges adorent le pop, tant et si bien que la promesse d’une canette gratuite est le moyen reconnu pour s’assurer de la participation des gens aux activités communautaires, comme un atelier de couture ou une rencontre de A.A. Bref, le pot de jus de tomate est 7$, les délectables Lay’s sel et vinaigre sont 6$ et le 2L de Tropicana est 12$. Et il semblerait que les options diminuent et les prix augmentent plus on s’aventure vers le nord. On m’a d’ailleurs recommandé de remplir mon sac de viande lors du transfert vers mon village puisqu’on n’y retrouve plus de boucher. Une motivation supplémentaire pour apprendre à chasser… J’oubliais qu’il y a un gym aussi! 60$/mois donne accès à un local réduit et peu entretenu. Petit prix à payer pour un corps et un esprit sain.

Je ne peux pas parler au nom de mes compatriotes nordiques, alors je prendrai un ton plus personnel. Après avoir parcouru plus de 1000 mots incluant une métaphore sur le soleil, vous avez probablement l’impression qu’il n’y a rien à faire ici, que l’unique loisir est de rêver aux prochaines vacances, à la grande ville avec ses cinémas, ses lumières, sa musique, ses millions d’individus. Et bien non. Je veux prendre l’air? Il y a des kilomètres de merveille à ma disposition. Je veux de la compagnie? Je contacte des voisins (on est tous voisins ici) pour souper. Je veux magasiner? Amazon.ca. J’ai du temps pour retrouver le temps dont on ne dispose pas en ville; apprendre l’espagnol, en ligne entraîner mes jambes pour un prochain marathon, développer mes habiletés de chasse et de pêche… En quittant la grande ville, je désirais prendre un temps d’arrêt. Souffler un peu. Vivre une épopée. Redéfinir des priorités. Rencontrer de nouvelles personnes. Sortir de ma zone de confort. Et il est là le message que j’aimerais vous transmettre en ce début d’année. N’ayez pas peur de prendre des risques!! Il est trop facile de chausser ses vieilles pantoufles usées sans se poser de questions. Que ce soit un déménagement, un changement d’emploi ou une réévaluation de sa relation de couple, n’attendez pas plus longtemps! On ne vit qu’une fois. Aussi bien vivre intensément.
 
                                  J'ai officiellement enterré la hache de guerre avec
                                             les chiens. Ce deux compères m'ont suivis pas à pas 
                                             durant une randonnée de 2h samedi dernier. Ils
                                             sont tranquillement retournés chez leurs maîtres
                                             par la suite.
                                      

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