C’est un
samedi matin ensoleillé de janvier. Il est 10h et je joue aux dominos avec nos
petits de 9-10 ans. À ma grande surprise, ils ont rapidement adopté le jeu une
fois que nous leur avons montré. Étonnamment calmes, assumons qu’ils surfent
sur la sérénité d’éviter l’école aujourd’hui. Ce moment paisible s’apprête à
être troublé. Tout d’abord, ce sont les cris. C’est en inuktitut, mais on peut facilement
déceler la rage et les pleurs. Je me dirige vers l’entrée et j’y rencontre une
femme d’âge mur. Elle tremble de tout son corps tout en continuant à invectiver
un adversaire invisible. Je tente de lui adresser la parole en anglais, mais je
ne peux l’atteindre à travers sa crise. Je m’approche d’elle et une forte odeur
d’alcool ma prend au nez. Bon… Afin de la tranquilliser, mais surtout de
protéger les enfants, je lui fais signe que je vais l’accompagner à l’extérieur.
Je demande à ma collègue d’appeler la police. C’est une fois sorti sur le
perron que je réalise qu’elle n’a rien du tout dans les pieds. À -20C.
Elle s’allume
difficilement une cigarette et me lance dans un anglais approximatif qu’elle
habite la maison d’en face avec sa fille; son gendre l’a frappé. Il a frappé sa
femme. Il a frappé sa fille. Le récit est entrecoupé d’insultes et de cris.
Malgré les facultés affaiblies de la femme, on voit que l’événement la blesse
énormément. Elle me demande de l’accompagner chez elle afin de récupérer sa
fille et son petit-fils. J’hésite. Dans ma tête, j’imagine l’assaillant bien
bâti, en colère, mais surtout sous l’effet de l’alcool. Je décide de l’accompagner
jusqu’à l’escalier menant à la demeure. Je me retourne et, bien évidemment, les
enfants sont rivés à la fenêtre. Tout l’or du monde ne les détournerait pas de
ce pathétique spectacle. Enfin, la dame entre dans le domicile. Elle ressort au
bout d’une petite minute avec sa fille, petite-fille et deux sacs manifestement
remplis à la hâte. Elle a sagement pris le temps d’enfiler des bottes.
La voiture
de police s’approche de nous. La dame éprouvant toujours de la difficulté à s’exprimer,
j’explique brièvement la situation. Les policiers demandent aux deux femmes si
l’homme possède une arme, mais elles ne comprennent pas la question. Si l’on se
fie aux mœurs du coin, c’est très probable. Ils s’aventurent dans la maison. À
l’extérieur, nous sommes silencieux. De toute façon, qu’est-ce qu’il y aurait à
dire? Je jette un regard vers notre fenêtre et j’y vois des enfants fascinés.
Enfin, la porte s’ouvre. Menottes aux poignets, l’homme est visiblement éméché
et en colère. Il me lance un long regard alors qu’on l’embarque dans le panier
à salade. Les femmes retournent tranquillement dans la maison. Le calme reprend
ses droits. Alors que je remets les pieds dans notre foyer, les jeunes s’installent
simplement devant la télé.
Quelques
heures plus tard, les policiers prendront ma déposition. Simple formalité
puisque les femmes ne porteront pas plainte. 48h plus tard, je croise l’homme
et sa femme marchant sans mot sur la rue. Celle-ci porte leur fille sur son
dos. Une longue marche vers l’épicerie probablement. Le quotidien quoi. Jusqu’à
la prochaine tempête.
Ce récit
illustre bien une difficulté majeure dans notre intervention auprès des jeunes
d’ici. Ceux-ci grandissent dans des milieux imbibés d’alcool et de violence.
Comme des éponges, ils s’abreuvent de ce quotidien et en font leur propre
réalité. Réalité qu’ils reproduisent une fois l’âge adulte atteint. Nous avons
présentement 4 petits entre 8 et 11 ans. avec des problématiques d'attachement. Une autre façon de dire qu'ils ont l'habitude des promesses brisées. L’une hurle lorsqu’on ne répond pas à
une de ses demandes. Lui, il raccroche quand ses parents téléphonent alors qu’ils
sont saouls. La plus vieille n’a simplement plus de maison. Entre eux, des
enfantillages, des insultes, des pleurs... Quand la colère déborde, on doit les
maintenir physiquement. Difficile de les raisonner et de leur fournir des
outils alors qu’ils ne connaissent que quelques mots d’anglais. On utilise des
gestes, des images… La satisfaction est encore plus grande lorsque l’on arrive
à connecter avec le jeune et à se faire comprendre. Une simple promenade en
skidoo peut illuminer leur journée. Et la nôtre.
Durant mes trois années au Centre Jeunesse de
Montréal, j’ai pour ainsi dire seulement travaillé avec des ados. Je lève mon
chapeau à tous ceux qui travaillent avec les plus jeunes sur une base
quotidienne. C’est un boulot colossal. Mon remplacement au foyer prend fin
alors que je pars en vacances dans 10 jours. À mon retour en avril, je serai
déployé dans les villages afin de visiter les familles. Je ne sais pas ce qui m’attend.
La problématique nordique est à la fois énorme, déroutante et stimulante. L’aventure
ne fait que commencer.
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