dimanche 7 décembre 2014

Faits divers

Réglons la question d’emblée : l’hiver s’est définitivement installé dans les premiers jours de novembre. -30C avec le facteur éolien. Il fait encore noir à 8h le matin et le soleil est déjà couché à 15h. Plusieurs collègues sont accros à leur pilule matinale de vitamine D afin de compenser la quasi absence de soleil. Pour ma part, je mise sur un entraînement en salle à tous les soirs. Chaque goutte de sueur versée nous ramène plus près d’une réalité qui parfois nous échappe. Car il est facile d’oublier le tourbillon, certains diront ‘la vraie vie’ de la ville, lorsque nous sommes submergés par toute cette blancheur.

                                                                           Salluit!

Depuis quelques semaines, un spectacle gratuit vient illuminer l’âme une fois le soleil disparu à l’horizon. Plus abordable qu’une soirée aux vues et moins frustrante que 3h au Centre Bell. Voici une aurore boréale:

    Mes yeux avaient tout enregistré, mais cette splendide photo est une gracieuseté de ma collègue de Salluit, Catherine.      Je ne dispose pas du matériel ni de l'habileté pour accomplir cela. Merci!

Au Moyen Âge, leur teinte rouge était un présage de malheur. De leur côté, les Inuit les associaient à des torches facilitant le passage des esprits des morts. Pour moi, il s’agit d’un simple ‘Allô!’ lancé par les astres. Un party céleste auquel nous sommes tous conviés. Pourtant, il y a une explication scientifique à ce phénomène. C’est un vent solaire qui dirige les particules du soleil vers les pôles magnétiques de la Terre, favorisant le Nord canadien et la Scandinavie. Lorsqu’elles entrent en contact avec les gaz de notre atmosphère, la réaction chimique engendre de la lumière. C’est l’altitude qui détermine la couleur qui varie entre le rouge, le vert et le bleu. Synonyme de basse altitude (100km), la couleur verte est la plus fréquente. C’est une véritable danse qui se déroule sous nos yeux. Vous savez comment les patineurs artistiques obtiennent des points bonis lorsqu’ils utilisent le moindre petit centimètre de la patinoire? Les aurores obtiennent tous les points à l’enjeu. C’est une véritable foire, un cirque qui a la faculté inouïe de s’effacer de notre regard pour rejaillir instantanément loin derrière nous. C’est magnifique.


Le changement de registre sera difficile pour certains, mais j’ai eu la chance d’assister à la toute fin d’une chasse au béluga à Wakeham Bay. La rumeur courait tout au long de la journée. Des sources bien au fait du dossier faisaient état d’un regroupement de canots et de chasseurs qui repèrent un troupeau de bélugas. Ils sont habilement orientés vers la grève. Une fois à distance rapprochée de celle-ci, les armes font feu. Les corps sont ensuite remorqués sur la plage. Le mot se répand; les villageois se présentent en voiture, en 4 roues et se partagent le prix. C’est beau à voir :



                                                              C'est tout ce qu'il reste à la fin.


Je tiens à rassurer les défenseurs des droits des animaux. Une loi non-écrite parmi les Inuit souligne qu’un animal sera seulement tué avec l’intention de le manger. Pas de gaspillage ou de coups de feu pour le plaisir. Les excédents sont redirigés vers le « community freezer » qui nourrira les familles de la communauté durant les temps durs de février.

Dans le même ordre d’idées, j’ai profité d’un repas traditionnel avec  les jeunes d’un de nos centres. Au menu, caribou et omble chevalier congelés. La sauce soya fait office de trempette.


Le verdict? Le fait que les viandes étaient congelées a grandement facilité l’expérience. Le caribou est coriace sous la dent. Le poisson est peu goûteux. Les jeunes ont raffolé du souper. Ils étaient définitivement dans leur élément alors qu’ils coupaient habilement la viande tout en échangeant des blagues dans leur langue maternelle. Ça leur rappelait des jours heureux.


Les Arctic Winter Games, c’est un événement qui regroupe des nations nordiques dans une ambiance de sports et de camaraderie. L’Alaska, le Nunavut, le Yukon et bien sûr le Nunavik sont parmi les participants de cette compétition qui se tient tous les 2 ans. On y retrouve un joyeux mélange d’épreuves traditionnelles occidentales (biathlon, hockey, badminton, etc.) et inuit (head pull –tir à la tête?-, saut en hauteur à un pied). Il est assez fréquent de voir des adolescents pratiquer le saut en hauteur à un pied dans les gymnases et salles d’entraînement. Au départ, l’athlète est assis par terre dans une position qui rappelle l’indien. Puis, il utilise une de ses jambes afin de se propulser dans les airs et atteindre la balle avec son autre pied. La description ne rend pas justice au coefficient de difficulté et cette médiocre photo en action n’aide en rien. Qu'importe:



Pour les intéressés, les prochains Jeux se tiennent au Groenland à l’hiver 2016. On peut se porter volontaire pour veiller au bon déroulement des activités, et en profiter pour explorer un coin de pays unique. www.awg2016.org

Le travail amène toujours sa part de défis. Le dernier en date est d'accompagner une ado dépressive de 17 1/2 ans dans sa quête d'un avenir, d'une identité. Même à Montréal, cela peut se révéler difficile malgré la variété d'écoles, de boulots divers, de spécialistes en orientation et en santé... Dans un scénario nordique, les écoles offrent peu de débouchés et un choix d'emploi se fait entre l'épicerie et la garderie. Et bien sûr les spécialistes se font très rares. Une mère alcoolique et de la violence à la maison ne font qu'assombrir le tableau. Comment éviter que cette jeune fille ne se retrouve démunie comme tant d'autres lorsqu'elle aura 18 ans?! Je passe la fin de semaine à Salluit et un 3e suicide en quelques semaines est venu secouer la communauté la nuit dernière. Cette fois, c'est un jeune de 16 qui supportait courageusement l'alcoolisme de son père depuis toujours. Il avait accompli son cours de sauveteur et travaillait à la piscine. Mais la résilience a ses limites... En cherchant à tout prix à améliorer le présent de ce peuple, n'avons-nous pas assombri leur vision du futur?

Sur une note plus légère. Je marchais de bon matin quand deux adorables chiots sont venus me témoigner toute leur affection. Je m'arrête afin de leur rendre la pareille, et je l'admets, une folle envie d'en dérober un. Il n'en fallait pas plus pour que la mère sorte de nulle part en hurlant, la gueule grande ouverte. J'ai compris le message et déguerpi. On ne le voit guère sur la photo, mais le feu émanant des yeux de la maman était terrifiant.


dimanche 7 septembre 2014

Un été qui s'achève... amenez-le l'hiver!

Nous avons négocié le périple à 160$ par personne. Il est 10h30 un glorieux samedi matin de juillet et nous sommes 4 blancs à avoir loué les services d’Alec, un Inuk respecté du village. Sa mission? Nous faire vivre la pêche d’une vie. Rien de moins. Alec prend son mandat au sérieux. Sa chaloupe de 16 pieds est parée à toute éventualité. Elle regorge d’énormes bacs, de couteaux, d’appâts, de bâches pour se protéger de l’eau... Il s’est patenté un petit volant qui lui permet de manœuvrer son embarcation à sa guise. L’emplacement désiré se trouve à environ 45 minutes du village. On brise les vagues en remontant la rivière. L’eau nous asperge, comme si elle voulait se venger que l’on ait troublé sa tranquillité. Bientôt, on s’arrête près d’une petite île et l’on reçoit l’instruction de lancer nos lignes à l’eau. On ne se fait pas prier, quoique notre équilibre soit difficile à établir au milieu de l’eau. C’est ma collègue infirmière qui a le privilège de retirer le premier omble chevalier de l’eau. Notre confrère la suit, puis c’est au tour d’Alec. Nous sommes déjà affamés. Notre guide s’occupe de tout.
                                                             On tente d'absorber son talent.

                                   Le démembrage et la mise en filets lui a pris 2 minutes. Ça m'en prend 45...

La magie d’un poêle Coleman… Simplement cuit dans du beurre accompagné d’un morceau de bannique (pain inuit). Un pur délice. Impossible d’imaginer un poisson plus frais, le cœur battait encore 10 minutes auparavant. On se remet en route sans tarder. 5 minutes passent avant que l’on reçoive un second ordre de lancer notre ligne à l’eau. Celle-ci est tellement claire que l’on voit les multiples poissons qui se tiennent à nos pieds. Ils virevoltent, dansent et semblent s’amuser ferme sous le chaud soleil; ils sont bien trop occupés pour manger. Malgré tout, 4 ou 5 d’entre eux mordent à nos appâts. J’obtiens notamment mon premier de la journée. Notre capitaine décide alors de nous mener à son endroit de prédilection. Voici le résultat :



On parle d’une quarantaine d’ombles chevaliers petits et gros. C’est difficile de rendre justice à l’expérience par écrit ou photo. La clef se trouve dans la clarté absolue de l’eau. Les poissons manquant d’énergie suite à leur party sous-marin, ils ont faim. C’est un spectacle en soi, alors qu’ils sont parfois 3 ou 4 à suivre une même ligne. Dans le bateau, on est sur le qui-vive. On pointe à nos confrères les troupeaux aperçus. On vise si bien avec nos lancers que nous sommes parfois 3 à mouliner un poisson au même moment. Les lignes se mélangent, l’unique puise à pêche suffit difficilement à la demande. On manque de temps pour se taquiner sur la grosseur de nos prises, alors qu’il y en a toujours une autre à ramener. Je remporte la palme avec ce monstre :

                                          On l'a évalué à 16-17 livres, un des plus gros observé par Alec

Avis aux pêcheurs: J’ai réservé les services de Maître Alec pour juillet 2015.

Bien que Kangirsuk soit reconnu comme LE village phare pour la pêche, nous n'avons pas la chance des villages un peu plus nordiques qui regorgent de quantités phénoménales de moules quotidiennement. À Salluit, on les recueille par grappes:


J'étais quelque peu surexcité lors de ma première cueillette. La gourmandise a aussi contribué à ce résultat pour un souper:

                                                      Rassurez-vous, j'ai partagé avec les voisins.

Au delà de la nourriture qui prend une grande place au Nord, le beau temps m'a permis d'explorer davantage les environs du village. Je vous présente le terrain de golf de Kangirsuk, soit 5 ou 6 verts aucunement entretenus disséminés au hasard au beau milieu de nulle part:


Au haut de la montagne surplombant le village, on peut faire de surprenantes découvertes. L'histoire veut qu'une femme Inuk avait commandé la voiture par cargo. Elle s'imaginait déjà parcourir les 2km de route du village au volant de cette voiture à 25 000$. Pendant plusieurs mois, elle avait patiemment attendu la venue du bateau. Une semaine après réception. son fils adolescent s'en est emparé et l'a anéanti. J'entendais qu'elle s'est commandé un nouveau véhicule la semaine dernière.


J'en apprends constamment sur ces jeunes de 0 à 17 ans. Mes collègues plus âgés les désignent parfois comme des individus mal éduqués, manquant de respect aux conventions les plus élémentaires de la société. Je crois qu'il est important de placer le tout en contexte.

Les aînés d'aujourd'hui ont été élevés dans des igloos. La chasse et la pêche constituaient l'école de la vie. Ils appartenaient à la nature et celle-ci le leur rendait bien avec sa nourriture et ses multiples splendeurs.

Les adultes dans la fleur de l'âge aujourd'hui ont vécu l'époque charnière de la sédentarisation. Le gouvernement a fourni les logements pour se donne bonne conscience. Mais l'adulte Inuit -spécialement l'homme- a perdu tout sentiment d'utilité. Plus besoin de chasser et pêcher puisqu'il y a une épicerie au coin de la rue. Et quel sens y a-t-il à travailler comme concierge ou mécanicien quand la valeurs capitalistes te sont totalement inconnues? Les femmes Inuit, elles, se sont mieux adaptées. Ce sont elles qui occupent la majorité des emplois, que ce soit derrière une caisse ou armées d'un balai. Rien pour consoler l'homme qui voit ainsi sa femme prendre le rôle de pourvoyeur dans la famille. C'est pourquoi plusieurs de ces hommes adultes se sont tournés vers la bouteille et la violence afin de diluer leur désarroi. 

Les jeunes viennent au monde dans cet environnement nocif. Il y a un laissez-aller éducationnel à la maison, alors que les parents ne connaissent pas eux-mêmes les valeurs modernes. Ce sont des valeurs de blancs. Les jeunes Inuit ne retrouvent pas la stimulation d'antan dans leur quotidien. Disparu est le sentiment de fierté associer à ramener une carcasse de caribou au campement, les joues rougies par le froid et le sourire jusqu'aux oreilles. Aujourd'hui, ils tournent en rond et s'ennuient. Ils lancent des roches, fument à un jeune âge et ne peuvent rester assis en classe. S'ils ont autant de difficulté avec l'autorité, c'est que Dame Nature était leur unique souveraine reconnue jusqu'à il n'y a pas si longtemps. J'ai plusieurs dossiers de jeunes qualifiés "d'insupportables" par tout professionnel et je m'inclus. Pourtant, ils se sont conduits de manière exemplaire alors qu'ils passaient de longues semaines sur le "land" à pêcher et chasser cet été. C'est ÇA un Inuk. 

Tout cela pour dire que les blancs venant travailler au Nord doivent se rappeler qu'ils ne vont pas révolutionner la culture Inuit. Bien au contraire. J'ai moi-même parfois le sentiment que je ne fais qu'éteindre des feux, sans améliorer l'ordinaire de ces gens. On doit s'adapter et non l'inverse. Ce sont des compagnons farceurs, loyaux et habiles de leurs mains. À nous d'utiliser leurs forces et faire ressurgir le sentiment de fierté qui les a longtemps habité. Et profitons de cette occasion inouïe pour en apprendre sur soi et la nature humaine en général. Ma deuxième année s'amorce à l'automne et je compte bien profiter de cette chance.

mercredi 9 juillet 2014

Un festival de soleil

On croirait parfois faire partie d'un monde créé de toute pièce par une romancière. Une page blanche à travers laquelle elle place des personnages sur notre chemin au moment précis où nous avons besoin d'eux; elle insère de décevants obstacles qui se métamorphosent en tremplin vers le ciel; elle rit en nous voyant passer à vive allure par une montagne russe d'émotions. À la fin de la journée, elle s'assure que nous ayions le sourire. Et n'est-ce pas tout ce qui compte?

Première chose à mettre au clair pour de potentiels visiteurs, il ne fait pas si chaud que ça à Kangirsuk l'été. J'avais entendu qu'il pouvait faire 30C, mais on faisait probablement référence à des journées éparses à Kuujjuaq. Ici, il fait 12C quand il fait soleil. Lorsque les nuages et le vent règnent, on parle d'une poignée de degrés. À tel point que l'avion couvrant la Baie d'Ungava est resté cloué au sol durant 3 jours la semaine dernière à cause du brouillard. Vendredi, j'étais à Wakeham Bay, près de l'extrémité nordique. La pluie était froide, le vent mordant, la populace maussade. Une courte marche m'a mené à un tristounet terrain de baseball.

J'ai attendu 4 heures à l'aéroport avant de me faire dire que mon vol de retour était remis au lendemain. Je pestais contre l'épicerie qui avait fermé ses portes prématurément sans aucun motif valable, tout en songeant avec envie à la bonne bouffe qui m'attendait dans mon propre congélateur. Je me suis couché tôt en souhaitant un rayon de soleil le lendemain. J'ai été servi.


Vous aurez compris que Wakeham Bay est communément désigné comme le village enchanteur du Nunavik. La marée s'est chargée de ramener des blocs de glace afin de compléter le portrait. Mon avion a finalement décollé avec un autre 4 heures de retard cette journée-là, mais peu importe.

La disparition des glaces ouvre la porte aux bateaux de cargo. Ceux-ci ravitaillent les villages nordiques en nourriture, matériaux de construction et véhicules divers. On profite des quelques mois de beau temps pour construire et rénover. La venue du cargo est également attendue de pied ferme par les locaux qui ont immanquablement la chance d'y trouver des cargaisons d'alcool, légales ou non. Les policiers n'ont pas beaucoup dormi dans les jours entourant la fête du Canada... Le premier bateau est arrivé le 29 juin, le dernier naviguera en octobre. La saison est très courte!

                                                    Avis aux femmes célibataires, les travailleurs de la
                                                                               construction sont légion  ces temps-ci.

La marée mérite que je m'y attarde pour plusieurs raisons. La Baie d'Ungava nous offre quotidiennement un spectacle fascinant, soit la deuxième plus haute marée au monde à environ 52 pieds. Au premier rang? La Baie de Fundy, 53 pieds. D'ailleurs, je ne saurais insister suffisamment afin que vous visitiez les Maritimes pour des vacances abordables et inoubliables; la nature y règne encore dans toute sa splendeur. Revenons au Québec. La marée passe généralement du plus haut au plus bas en +/- 6h15. Elle me surprend encore par sa rapidité, même après plusieurs semaines.

                                                                        Marée haute.

                                                                           Marée basse.               

Un autre motif pour se préoccuper des marées est évidemment ce qu'elle peut nous procurer. Plusieurs Inuit racontent que les pleines et nouvelles lunes sont les plus propices à glaner les moules. Il semble qu'elles se cachent sous les algues à marée basse. J'expérimenterai ma première pleine lune de l'été ce samedi et je compte bien arpenter la plage à marée basse à 3h15am. 

                                                   Maigre butin en attendant les récoltes en or.

Enfin, une marée de haut niveau représente LA source de bonheur au village, puisque c'est synonyme de pêche! Oubliez tout ce que vous avez vécu dans ce domaine, on ne joue pas du tout dans la même ligue à Kangirsuk. Imaginez des conversations quotidiennes sur l'horaire des 2 marées hautes afin de planifier nos escapades; des bandes d'enfants de 8 ans qui manient la canne d'une main experte; des ombles chevaliers de 10 livres qui sont la norme en attendant les placards de 15 livres du mois d'août; des blancs et des Inuit qui partagent les berges, s'encouragent, s'entraident.


Cet emplacement de pêche est reconnu comme le plus généreux et il est à 4 minutes de marche de chez moi. On descend les roches, on lance la ligne, on mouline tranquillement et on recommence! Durant une même session, le mouvement peut être répété des centaines de fois. Le froid, le vent et la pluie se mettent parfois de la partie, mais qu'à cela ne tienne. On apprend rapidement de quelle manière ramener le poisson, mais surtout comment s'en emparer à mains nues pour éviter qu'il ne s'échappe. Le plus difficile est de préparer ses propres filets; le sang gicle, le poisson glisse et les arêtes se multiplient. L'expérience est cruciale. En comparaison, l'omble chevalier est un poisson qui s'apparente au saumon, au niveau de la couleur de la chair et du goût.

                                                                       

                                          Un poisson peut convenablement nourrir 4 personnes.

Ma plus belle expérience de pêche jusqu'ici s'est déroulée samedi dernier. Suite à un souper et un énorme feu, on retraite à nos quartiers respectifs pour la nuit. Prétextant la fatigue, nous avions rejeté l'idée de profiter de la marée haute de 3h05am. Un bon film m'a par hasard mené à 2h30. À ce point, je n'avais plus le choix. J'ai rassemblé mon équipement et me suis dirigé vers l'amoncellement de roches bénies. L'eau était calme, le temps semblait s'être arrêté. Le ciel affichait encore quelques couleurs. Les canards volaient gracieusement. J'étais seul au paradis. Puis, tout s'est déchaîné. Mon hameçon est devenu la vedette sous-marine. Quelques poissons ont mordu avant de s'éclipser. D'autres suivaient ma ligne jusqu'au rivage sans oser la gober. Certains se se sont retrouvés à quelques pouces de mes mains avant que l'instinct de survie ne les arrache de l'hameçon. Au travers de cela, 3 garçons d'une dizaine d'années sont venus me tenir compagnie et échanger des trucs. 2 filles du même âge sont également venues pêcher juste au bon moment.

                                               Oui, je fais bien rire de moi avec ma canne de 9 pieds...

Le décompte final faisait état de 3 ombles et d'une fantastique sérénité. Tout indique que je mangerai du poisson on ne peut plus frais à chaque jour pour les prochaines semaines. Pas facile la vie.

Dans 2 semaines, c'est le festival de l'Arctic Char à Kangirsuk. La semaine suivante, je planifie une expédition au Parc National de Pingualuit. L'été s'annonce chargé. L'histoire continue de s'écrire.

dimanche 11 mai 2014

Kuujjuaraapik

Sortir dehors avec pas de tuque, des déchets qui se révèlent graduellement à nos yeux, des nids-de-poule qui font regretter ceux de Montréal; oui, le printemps est bien installé. Lors de mon arrivée en novembre, rien ne laissait présager qu'il put y avoir une autre saison que l'hiver ici. Pourtant, les glaces fondent maintenant sur les cours d'eau tandis que le soleil se couche vers 22h. De plus en plus, des locaux s'absentent du travail afin de chasser/pêcher. On ne peut les blâmer de chercher à nourrir leur famille, mais ce n'est pas une sinécure pour un employeur...

Mon travail est toujours aussi grisant. À mesure que les dossiers s'accumulent, je visite de nouveaux villages et des familles aux prises avec des problématiques différentes. Un défi majeur est d'amener les parents à considérer l'école comme une priorité. Bien souvent, eux-mêmes ont peu fréquenté l'école et ne croient donc pas au bien-fondé de celles-ci. Par conséquent, l'enfant n'est pas guidé à se lever le matin, à faire ses devoirs, à respecter les enseignants... Il y a beaucoup d'éducation à faire à ce niveau. Je me suis donné comme mandat d'établir une communication entre les établissements scolaires et les familles. C'est ambitieux, mais nécessaire.

En escortant un jeune vers Kuujjuaraapik il y a quelques semaines, j'ai eu l'occasion d'y séjourner quelques jours. Situé tout en bas de la Baie d'Hudson, il y fait bien plus chaud que dans les autres villages. La seule communauté regroupant des Cris et des Inuit au Québec, elle détient 4 appellations officielles outre son nom inuktitut; Poste-de-la-Baleine, Great Whale River et Whapmagoostui. De ce que j'ai pu entendre et observer, il n'y a pas de conflits entre les deux cultures. On parle plutôt d'une certaine rivalité. Au lieu de mettre son argent en commun, ils cherchent à se surpasser mutuellement en construisant un meilleur gym, une plus grosse piscine... D'ailleurs, les Inuit ont mis le paquet. La salle d'entraînement est magnifique.

                                                                    C'est un Triple Gym!!


                                                                                                Un Inukshuk

                                                          Bear et Whale Streets. Je n'ai rien contre les nombreux Saints,
                                                                  mais il me semble que la rue Ours a plus de punch.

J'ai eu la chance d'assister à ma première messe nordique. Dimanche 18h. On entre dans une maison en apparence ordinaire. On se dirige vers le sous-sol, un homme blanc enthousiaste nous accueille en français. On s'assoit au fond de la salle qui se remplit à vue d'oeil. L'homme sert des mains, échange des plaisanteries, taquine les enfants. J'entends qu'il y a bien plus de gens qui se présentent lorsqu'un repas accompagne la cérémonie. On nous sert une assiette de caribou, orignal et légumes. C'est très bon, quoique l'on doive travailler fort afin de garder l'assiette en équilibre sur nos genoux. Après s'être rassasié, on passe au sermon. Le pasteur est un vieux francophone qui a probablement appris l'anglais hier. Il s'exprime difficilement, heureusement que les acétates donnent du poids à ses dires. Des chants rythmées nous mettent à contribution.


Un gâteau trop sucré viendra clore le tout. Pas de quêtes ni de promesses. Nous retraitons simplement à la maison l'estomac plein et chansons en tête. Je suis converti.


Je me serais attiré des critiques si je n'avais pas expérimenté les bars locaux. En effet, il s'agit du seul village alcoolisé à l'extérieur de Kuujjuaq. C'est donc dans l'intérêt de la science que j'y ai dédié mon samedi soir. Au premier abord, le premier est agréable. Un endroit propre avec des chandails de hockey accrochés au mur, des écrans géants. Une mini Cage aux Sports. La 500mL de Keith's à 8$ est abordable. Une fois de plus, l'expérience se gâte alors que la soirée progresse. Un jeune homme éméché vient complimenter mes yeux aux 5 minutes. Une femme intoxiquée, le visage meurtri par l'alcool, flirte avec un francophone de notre table. Il ne tient pas à la connaître, mais il doit rester poli afin d'éviter un conflit. C'est le mari jaloux de cette femme qui se charge d'attiser le feu en menaçant notre ami de son poing. Un allié inconnu se charge d'éloigner ce malheureux.

La fatigue ne nous empêche pas de faire un tour dans le nightclub de l'endroit. Un grand hangar gris, des néons de cafétéria, des tables de billard délavées. La chanson qui nous accueille? Vous vous rappelez In the Shadows de The Rasmus? C'était en 2003.  Peut-être que le décor est planté dans l'optique de pousser les gens à consommer... Bref, nous y passons peu de temps et quittons sagement avant les potentielles bagarres de fin de soirée.

Plusieurs fans de hockey ici. Certaines personnes se font un plaisir d'arborer une casquette des Bruins dans la rue. Ils seront bien déçus... Retour à Montréal le 22!

mardi 15 avril 2014

Retour à la réalité

Je vais en agacer certains, mais il était grand temps que je retourne au travail après ces 4 semaines de vacances. Un mois à courir à gauche et à droite pour voir tout le monde, des coups de soleil suite au Honduras, se lever à 9h le matin… Pas facile la vie! Sérieusement, la tranquillité nordique me manquait. De plus, on réalise que le travail est une belle source de satisfaction et d’équilibre. Et du travail, il y en a!

D’ailleurs, j’ai enfin débuté le boulot pour lequel j’ai été engagé. Je suis officiellement éducateur externe. Mes tâches m’amènent surtout à travailler au sein des familles. J’ai deux principaux mandats: 1- Visiter les familles vulnérables afin de prévenir le placement des enfants. 2- Préparer les familles au retour de leurs enfants placés. Cette dernière responsabilité est cruciale. Suite à un placement de quelques mois, un enfant peut revenir transformé et animé de bonnes intentions. Toutefois, si l’environnement familial est toujours aussi toxique, les mauvaises habitudes reprennent rapidement le dessus.

J’ai eu l’occasion de visiter quelques demeures en piteux état. Une d’entre elle fut particulièrement marquante. Il s’agit d’une mère monoparentale et ses 6 enfants âgés de 4 à 16 ans. Le père est en prison pour violence conjugale et sera de retour en mai. La première chose qui frappe en entrant dans la maison, c’est l’odeur. Une odeur de pot mélangée à de la pourriture. Ça prend à la gorge. Ensuite, on remarque les murs parsemés de trous. La cuisine révèle une quantité astronomique de vaisselle sale qui déborde de l’évier. Les planchers sont tachés de graisse. À l’étage, les chambres renferment de putrides matelas posés à même le sol. Celui-ci est recouvert de vêtements; propres ou sales, on ne sait trop. La salle de bain est peinturée de traces brunâtres. Malgré tout, les enfants sont souriants, insouciants. En classe, ils portent des chapeaux afin d’éviter la prolifération de leurs poux. Ils sont conscients que les choses ne tournent pas rond à la maison, mais ils sont gênés d’en parler. Certains sèchent les cours, d’autres se battent durant la nuit. L’une des filles consomme quotidiennement et insulte quand on l'approche. De son côté, la mère est réticente à accepter de l’aide. Elle détient un emploi à l’école, mais quelques matins elle ne se présente pas, car elle a déjà trop bu. Elle est informée qu’elle doit collaborer avec moi si elle tient à conserver la garde, ce qui semble l’atteindre. Une demoiselle perspicace me faisait remarquer que mon travail s’apparente à celui de Nanny 911. Je serais curieux de voir comment celle-ci attaquerait une situation de cette ampleur…


Bref, je suis basé à Kangirsuk dans un appartement miteux qui est somme toute accueillant (avis aux potentiels visiteurs!). Je serai appelé à parcourir quatre villages de la Baie d’Ungava dans le cadre de mes interventions familiales. Présentement, j’accomplis un boulot qui entre dans la catégorie *autre tâche connexe* de toute bonne définition d’emploi. J’escorte deux enfants trop jeunes pour voyager par eux-mêmes. Je n’ai qu’à prendre l’avion en leur compagnie, leur donner des bonbons pour qu’ils se tiennent tranquilles et les remettre en mains sûres à l’arrivée. Pas mal du tout, alors que ça me permet de visiter des villages que je n’aurais pas vus autrement. À mon prochain envoi, vous découvrirez Kuujjuaraapik, la seule communauté Cri et Inuit du Québec!

J'avais un léger rhume la semaine dernière et je voulais évacuer des toxines à l'aide d'un bain bouillant. Une surprise m'attendait, à vous de deviner si je me suis laissé tenter ou non. J'imagine que vous connaissez la réponse...




dimanche 23 février 2014

Les enfants

C’est un samedi matin ensoleillé de janvier. Il est 10h et je joue aux dominos avec nos petits de 9-10 ans. À ma grande surprise, ils ont rapidement adopté le jeu une fois que nous leur avons montré. Étonnamment calmes, assumons qu’ils surfent sur la sérénité d’éviter l’école aujourd’hui. Ce moment paisible s’apprête à être troublé. Tout d’abord, ce sont les cris. C’est en inuktitut, mais on peut facilement déceler la rage et les pleurs. Je me dirige vers l’entrée et j’y rencontre une femme d’âge mur. Elle tremble de tout son corps tout en continuant à invectiver un adversaire invisible. Je tente de lui adresser la parole en anglais, mais je ne peux l’atteindre à travers sa crise. Je m’approche d’elle et une forte odeur d’alcool ma prend au nez. Bon… Afin de la tranquilliser, mais surtout de protéger les enfants, je lui fais signe que je vais l’accompagner à l’extérieur. Je demande à ma collègue d’appeler la police. C’est une fois sorti sur le perron que je réalise qu’elle n’a rien du tout dans les pieds. À -20C.
Elle s’allume difficilement une cigarette et me lance dans un anglais approximatif qu’elle habite la maison d’en face avec sa fille; son gendre l’a frappé. Il a frappé sa femme. Il a frappé sa fille. Le récit est entrecoupé d’insultes et de cris. Malgré les facultés affaiblies de la femme, on voit que l’événement la blesse énormément. Elle me demande de l’accompagner chez elle afin de récupérer sa fille et son petit-fils. J’hésite. Dans ma tête, j’imagine l’assaillant bien bâti, en colère, mais surtout sous l’effet de l’alcool. Je décide de l’accompagner jusqu’à l’escalier menant à la demeure. Je me retourne et, bien évidemment, les enfants sont rivés à la fenêtre. Tout l’or du monde ne les détournerait pas de ce pathétique spectacle. Enfin, la dame entre dans le domicile. Elle ressort au bout d’une petite minute avec sa fille, petite-fille et deux sacs manifestement remplis à la hâte. Elle a sagement pris le temps d’enfiler des bottes.
La voiture de police s’approche de nous. La dame éprouvant toujours de la difficulté à s’exprimer, j’explique brièvement la situation. Les policiers demandent aux deux femmes si l’homme possède une arme, mais elles ne comprennent pas la question. Si l’on se fie aux mœurs du coin, c’est très probable. Ils s’aventurent dans la maison. À l’extérieur, nous sommes silencieux. De toute façon, qu’est-ce qu’il y aurait à dire? Je jette un regard vers notre fenêtre et j’y vois des enfants fascinés. Enfin, la porte s’ouvre. Menottes aux poignets, l’homme est visiblement éméché et en colère. Il me lance un long regard alors qu’on l’embarque dans le panier à salade. Les femmes retournent tranquillement dans la maison. Le calme reprend ses droits. Alors que je remets les pieds dans notre foyer, les jeunes s’installent simplement devant la télé.
Quelques heures plus tard, les policiers prendront ma déposition. Simple formalité puisque les femmes ne porteront pas plainte. 48h plus tard, je croise l’homme et sa femme marchant sans mot sur la rue. Celle-ci porte leur fille sur son dos. Une longue marche vers l’épicerie probablement. Le quotidien quoi. Jusqu’à la prochaine tempête.
Ce récit illustre bien une difficulté majeure dans notre intervention auprès des jeunes d’ici. Ceux-ci grandissent dans des milieux imbibés d’alcool et de violence. Comme des éponges, ils s’abreuvent de ce quotidien et en font leur propre réalité. Réalité qu’ils reproduisent une fois l’âge adulte atteint. Nous avons présentement 4 petits entre 8 et 11 ans. avec des problématiques d'attachement. Une autre façon de dire qu'ils ont l'habitude des promesses brisées. L’une hurle lorsqu’on ne répond pas à une de ses demandes. Lui, il raccroche quand ses parents téléphonent alors qu’ils sont saouls. La plus vieille n’a simplement plus de maison. Entre eux, des enfantillages, des insultes, des pleurs... Quand la colère déborde, on doit les maintenir physiquement. Difficile de les raisonner et de leur fournir des outils alors qu’ils ne connaissent que quelques mots d’anglais. On utilise des gestes, des images… La satisfaction est encore plus grande lorsque l’on arrive à connecter avec le jeune et à se faire comprendre. Une simple promenade en skidoo peut illuminer leur journée. Et la nôtre.
Durant mes trois années au Centre Jeunesse de Montréal, j’ai pour ainsi dire seulement travaillé avec des ados. Je lève mon chapeau à tous ceux qui travaillent avec les plus jeunes sur une base quotidienne. C’est un boulot colossal. Mon remplacement au foyer prend fin alors que je pars en vacances dans 10 jours. À mon retour en avril, je serai déployé dans les villages afin de visiter les familles. Je ne sais pas ce qui m’attend. La problématique nordique est à la fois énorme, déroutante et stimulante. L’aventure ne fait que commencer.

jeudi 23 janvier 2014

Kangirsuk

On retrouve Kangirsuk à environ 230km au nord de Kuujjuaq. Il était initialement prévu que j'y installe mes pénates au début du mois de décembre. Les choses étant ce qu'elles sont au Nunavik, mes services sont encore requis à Kuujjuaq, et ce au moins jusqu'à mes vacances en mars. Je ne m'en plains pas, même si j'ai bien hâte de vivre le quotidien d'un petit village. J'ai présentement la chance d'en avoir un aperçu puisqu'on m'a envoyé à Kangirsuk 3 jours question d'effectuer de la reconnaissance, mais surtout de récupérer quelques trucs. En effet, les valises amenées à Kujjuuaq avaient été préparées dans l'optique d'y passer 2 semaines, pas 4 mois. La majorité de mes effets avait été envoyée par cargo directement à Kangirsuk. Tout cela pour dire que je me débrouille avec pas de bottes d'hiver, pas de précieuses barres Vector, mais surtout vêtu des mêmes 5 t-shirts depuis bientôt 2 mois. Ayant travaillé sans arrêt depuis mon arrivée, ces trois jours m'apparaissaient un peu comme des vacances. Quoique pour être franc, il n'y a personne de sain d'esprit qui déciderait de partir de Montréal pour 2 semaines de vacances à Kangirsuk. Et pourtant...

Le vol s'effectue à bord d'un avion d'une soixantaine de places, mais nous ne sommes qu'une douzaine en ce mercredi après-midi. L'appareil se rendra jusqu'à Salluit tout en haut. Il doit effectuer des arrêts à pratiquement tous les petits villages en chemin, mais j'ai la chance de débarquer en premier. Une bagatelle de 45 minutes illuminé d'un soleil glorieux, difficile de demander mieux. Ce qui frappe le plus lorsque l'on regarde par le hublot? Il n'y a rien. Pas même des arbres (on a dépassé le tree line). Que de la neige et de la glace à l'infini...


La jolie hôtesse de l'air a tout juste le temps d'expliquer les mesures de sécurité dans les trois langues et de distribuer une collation que déjà l'on voit surgir Kangirsuk. Ça s'apparente probablement au sentiment d'un astronaute qui rencontre un minuscule astéroïde au beau milieu de l'espace. L'aéroport est à peine plus grand que mon appartement.


Un vieil Inuk vient me prendre en voiture. Nous descendons la montagne vers la civilisation. Kangirsuk a été bâti entre de hautes montagnes, ce qui accentue le sentiment d'être seul au monde. Nous faisons un tour rapide du village, ce qui prend environ 3 minutes. Il faut dire qu'à 550 habitants... Je vous épargne les détails sur mon appartement aux couleurs et à la propreté des années 80 (soi-disant qu'il n'a pas été habité depuis des mois). Voici plutôt un petit tour guidé du village:

                                           L'aréna. Remarquez le K habilement glissé à la place du H.

                                                   L'équipe locale affiche fièrement ses bannières de la Coupe Stanley.

                                        L'école. Pourquoi n'avons-nous pas également de jolis dessins sur la façade de nos                                                                                              établissements publics. Il y en a partout dans le Nord.

                                                  Les traîneaux sont pratiques pour le transport de matériel en skidoo.

On ajoute 2 épiceries qui ne tiennent comme viande que du congelé à des prix outrageux, ainsi qu'un poste de police et on a fait le tour de ce qui se passe à Kangirsuk. Quelques informations en vrac:

Il y a une dizaine de blancs qui vivent ici et tous travaillent en tant que policier ou à l'intérieur du CLSC. Ce dernier regroupe en permanence 3 infirmières et 2 travailleurs sociaux. Il accueille également le dentiste, le pédiatre et autres professionnels de la santé à l'occasion de leur visite mensuelle ou trimestrielle. Les gens du Sud se regroupent souvent pour des soupers ou des parties de poker (j'ai hâte de les plumer!). Le taux de roulement est très élevé parmi les employés pour des raisons évidentes Au moment de mon passage, une travailleuse sociale était en congé de maladie, ce qui accentue la pression sur ses collègues qui quitteront potentiellement à leur tour en maladie. C'est un cycle sans fin.

Il faut seulement tirer la chasse de la toilette suite à un #2. Bien sûr, l'eau se faire rare ici, mais plusieurs personnes affirment que l'on devrait observer cette règle dans les grandes villes afin de sauvegarder l'eau. J'approuve. On s'habitue vite.

C'est froid. Très froid. Rien à voir avec Kuujjuaq qui nous protège généralement du vent avec ses arbres et ses bâtiments. Heureusement, les distances à couvrir sont très courtes.

Les voitures ne sont pas légion. Le skidoo est privilégié. Quelques conducteurs ne portent ni chapeau ni mitaines, c'est à n'y rien comprendre.

L'alcoolisme fait des ravages. La plupart des habitants consomment alcool et/ou drogue. Semble-t-il que la cocaïne et le speed ont fait leur apparition récemment. On retrouve ces affiches un peu partout. L'objectif est de sensibiliser les gens au montant d'argent démesuré investi dans ces substances :


Kangirsuk est reconnu comme un endroit par excellence pour taquiner le poisson. Faute de véhicule, je n'aurai pas pu expérimenter la pêche hivernale qui se pratique plus loin. À tous les deux ans, en juillet, le village accueille le festival de l'Omble chevalier. On retrouve abondamment de ce poisson, dont la chair rappelle celle du saumon. J'ai vu des photos et ils sont énormes. L'été, on peut descendre sur la plage et simplement y ramasser des moules frais élégamment déposés par la marée.

Le vide qui m'entoure semble faire écho à mes pensées qui ne m'ont jamais parues si claires. Si tout se passe comme prévu, ce sera mon quotidien à compter d'avril. Être au beau milieu de nulle part prend tout son sens ici...




lundi 6 janvier 2014

Vivre à Kuujjuaq

C’est le début d’une nouvelle année, les oiseaux chantent, le soleil brille et l’optimisme règne. Kuujjuaq n’y fait pas exception. Alors, oublions un instant les difficultés nordiques et approfondissons le quotidien dans la métropole du Nunavik.

4 heures. Il s’agit du temps quotidien durant lequel le soleil daignait se montrer le bout du nez à l’approche de Noël. Depuis une dizaine de jours, il prend graduellement de l’assurance, tout en se gardant encore une grosse gêne. Il se compare à une très jolie fille qui n’aime pas sortir en public. En son absence, on ne pense pas à elle, on oublie son existence et l’on songe bonnement à ce que l’avenir nous réserve. Mais quand elle fait son apparition, attention! Les bonnes gens se massent dans les rues pour inhaler son doux parfum, les arbres sourient aux passants, les chiens éblouis se lancent dans une vaine poursuite de leur ombre reflétée sur les diamants blancs qui recouvrent tout, tout, tout. Elle passe devant sans nous adresser la parole? Ce n’est pas bien grave, son sourire aura illuminé notre journée et on attend qu’elle nous refasse la grâce de sa présence le lendemain. Pour moi, la dépression saisonnière n’existe pas ici. Au contraire, on tombe sous le charme de Dame Nature jour après jour.

                            Dur de croire que l'eau n'est pas gelée à certains endroits.        
                                  
Mon moment favori de la journée se situe entre 22 et 23h. Afin d’oublier un autre navrant revers du Canadien, j’enfile 4 couches de vêtements et me dirige à l’extérieur. Je sors des limites du quartier résidentiel afin d’échapper aux lueurs de la ville. La seule musique à mes oreilles est le crissement de mes pas dans la neige. Je lève les yeux vers le ciel où les étoiles sont en fête et veillent sur nous. Parfois, une source digne de confiance m’informe d’un potentiel élevé d’aurore boréale. Dans la noirceur de vendredi, j’ai donc parcouru une montagne rocheuse en fixant le firmament durant un long moment. Sans succès. C’est l’apparition d’un renard à quelques pieds de moi qui m’a ramené à la réalité. J’ai pensé l’assassiner et m’emparer de sa fourrure pour en faire un foulard, mais je suis conscient que plusieurs d’entre vous ne m’auraient plus adressé la parole…

La motoneige est partie intégrante du décor nordique. En effet, pratiquement tous les Inuit en possèdent un; certains pour leurs déplacements quotidiens, la majorité pour la chasse. Afin de les accommoder, les routes sont désignées sentiers municipaux. Je l’avais mentionné, ça implique que le code de la route ne s’applique pas ici. Naturellement, cela amène toutes sortes de personnes de tous âges à prendre le volant… Les motoneigistes s’en donnent à cœur joie et dévalent les routes à des vitesses phénoménales. Les piétons doivent faire attention, surtout la nuit. D’ailleurs, il n’y a pratiquement personne dans les rues avant 11h le matin; les Inuit sont des couche-tard. La nuit par contre, on entend une symphonie de motoneiges au loin. On s’y habitue, comme une berceuse qui nous mène joliment vers le sommeil. Je repense à mon premier face-à-face avec un Inuk que je qualifierais de particulier. Je revenais du travail et aperçu un homme qui tentait de sortir sa motoneige du trou dans laquelle elle était embourbée. Suite à une vingtaine de minutes de déneige-pousse-recule, on arrive à nos fins. Fou de joie, il effectue une boucle un peu plus loin avant de se diriger vers moi à toute vitesse. Il m’aurait bêtement tué si je n’avais pas sauté de côté pour éviter une mort saugrenue. L’homme s’est arrêté pour ramasser ses deux fils, tout en me remerciant gaiement.

                               La grande majorité des habitants arborent
                                          au moins un skidoo dans leur cour.

Le cinéma est à l’intérieur de l’hôtel de ville. Il diffuse un film vieux de quelques mois et ce, 2 soirs/semaine. Les deux bars de la ville sont parfois fermés et accueillent des personnages plus ou moins amicaux. De toute façon, le prix de l’alcool est suffisant pour calmer la soif. Deux épiceries vendent également meubles, vêtements… Ne recherchez pas le dernier cri; les fauteuils nous viennent directement des années 90. La nourriture est un important sujet de conversation au Nord. On retrouve sensiblement les mêmes emballages qu’au Sud dans les épiceries, mais les prix sont catapultés à la stratosphère suite au transport par avion. Des subventions ont été mises en place afin de préserver un tarif raisonnable pour les aliments santé de base (lait, pain, œufs, etc.). Cependant, les Inuit s’alimentent très mal; j’apprenais aujourd’hui que les meilleurs vendeurs de l’épicerie sont les pizzas congelés, les chips et le « pop » (Coke, Sprite…). Les Inuit de tous âges adorent le pop, tant et si bien que la promesse d’une canette gratuite est le moyen reconnu pour s’assurer de la participation des gens aux activités communautaires, comme un atelier de couture ou une rencontre de A.A. Bref, le pot de jus de tomate est 7$, les délectables Lay’s sel et vinaigre sont 6$ et le 2L de Tropicana est 12$. Et il semblerait que les options diminuent et les prix augmentent plus on s’aventure vers le nord. On m’a d’ailleurs recommandé de remplir mon sac de viande lors du transfert vers mon village puisqu’on n’y retrouve plus de boucher. Une motivation supplémentaire pour apprendre à chasser… J’oubliais qu’il y a un gym aussi! 60$/mois donne accès à un local réduit et peu entretenu. Petit prix à payer pour un corps et un esprit sain.

Je ne peux pas parler au nom de mes compatriotes nordiques, alors je prendrai un ton plus personnel. Après avoir parcouru plus de 1000 mots incluant une métaphore sur le soleil, vous avez probablement l’impression qu’il n’y a rien à faire ici, que l’unique loisir est de rêver aux prochaines vacances, à la grande ville avec ses cinémas, ses lumières, sa musique, ses millions d’individus. Et bien non. Je veux prendre l’air? Il y a des kilomètres de merveille à ma disposition. Je veux de la compagnie? Je contacte des voisins (on est tous voisins ici) pour souper. Je veux magasiner? Amazon.ca. J’ai du temps pour retrouver le temps dont on ne dispose pas en ville; apprendre l’espagnol, en ligne entraîner mes jambes pour un prochain marathon, développer mes habiletés de chasse et de pêche… En quittant la grande ville, je désirais prendre un temps d’arrêt. Souffler un peu. Vivre une épopée. Redéfinir des priorités. Rencontrer de nouvelles personnes. Sortir de ma zone de confort. Et il est là le message que j’aimerais vous transmettre en ce début d’année. N’ayez pas peur de prendre des risques!! Il est trop facile de chausser ses vieilles pantoufles usées sans se poser de questions. Que ce soit un déménagement, un changement d’emploi ou une réévaluation de sa relation de couple, n’attendez pas plus longtemps! On ne vit qu’une fois. Aussi bien vivre intensément.
 
                                  J'ai officiellement enterré la hache de guerre avec
                                             les chiens. Ce deux compères m'ont suivis pas à pas 
                                             durant une randonnée de 2h samedi dernier. Ils
                                             sont tranquillement retournés chez leurs maîtres
                                             par la suite.