mercredi 25 décembre 2013

C'est Noël!

Initialement, l’idée de vivre Noël a Kuujjuaq ne m’enchantait guère. Après tout, quelle autre période annuelle permet de passer plusieurs jours consécutifs vêtu d’un pantalon de jogging à alterner entre le divan et une table remplie de nourriture, choses que ma conscience de Spartan ne me permettrait pas le reste de l’année? Ici, je devais non seulement travailler, mais également rencontrer des gens assez naïfs pour me permettre de dévaliser leurs provisions dans le cadre d'un souper. Et bien, j’ai decouvert un village heureux de ce moment de répit, tout en etant accueillant pour les "malchanceux" qui restent dans les environs pour le temps des fêtes.
À mon arrivée il y a maintenant un mois, j’ai entendu parler d’un prix de 5000$ offert aux propriétaires de la maison la mieux décorée du village. J'étais prêt a investir mes économies dans une replique grandeur nature du Père Noël et ses rennes. Par contre, seuls les Inuit sont éligibles; c'est bien, ils en ont davantage besoin. J'imagine qu'un aspect du concours est de mobiliser les familles derrière ce projet. Semble-t-il que les familles demeurent généralement à jeun durant les festivités, il y a dejà ça de gagné.

                                       Bel effort, mais à mes yeux, le gagnant
                                                    est...

 


                               La personne super habile de ses mains a sculpté un
                                         inukshuk dans la glace. Un inukshuk est une forme d'art,
                                         soit la représentation d'un être humain, normalement faite
                                         de pierres. Chapeau!

Début décembre, une rumeur se répand parmi les employés du bureau. Tout le monde se tourne vers la fenêtre. Au loin, on peut discerner un hélico transportant un sapin d'une trentaine de pieds au bout d'une corde. C'est le sapin de la communauté! Il n'y avait pas de cadeau pour moi sous celui-ci, mais le sentiment de fierté qui habite la population compense amplement. Il permet de rassembler tout le monde, autant les familles que les âmes esseulées. On se sent tous un peu moins seul dans ce bout du monde nordique.

                                       Le sapin devant l'hôtel de ville.

Le clou des festivités est le Candy Drop. Cet évenement est reconnu; tous, je dis bien tous les habitants du village s'y reunissent l'après-midi du 25 decembre. J'ai eu la chance d'y accompagner une jeune durant mon quart de travail aujourd'hui. Imaginez 2500 individus, enfants et adultes, éparpillés dans un terrain vague pres de l'aéroport. Les vehicules sont laissés à eux-mêmes un peu partout sur la route. Certaines personnes munies d'un simple sac de plastique, d'autres étrennent ce qui ressemble à de massifs sacs d'armée. Ils attendent avec impatience la venue du légendaire pilote Johnny May dans son petit avion de brousse. --Un documentaire sur sa vie et les défis des Inuit est d'ailleurs sorti en DVD en septembre; Les Ailes de Johnny May.-- Depuis 1965, il a pris l'habitude de survoler la region le jour de Noël tout en laissant tomber bonbons, parkas, certificats-cadeaux et billets d'avion(!) au profit de ses compatriotes. Chaque année, il doit affronter le gouvernement qui cherche à interdire cette pratique en prétendant qu'il est dangereux de voler à si basse altitude au-dessus d'une foule. Mais je crois que même Transports Canada reconnaît les aspects benefiques de cette tradition. Bref, on s'imaginerait assister à des bagarres pour l'obtention des cadeaux, mais je vous laisse juger du climat qui y règne:


Pour les curieux, Johnny fut tres généreux durant sa dizaine d'allers-retours, mais je n'ai capté qu'une petite boule de laine rose, immédiatement remise à ma jeune protégée qui affichait un grand sourire. Pour des gens peu habitués à recevoir du positif dans la vie, de tels évenements rassembleurs laissent des souvenirs impérissables.

Somme toute, une bien belle journée festive qui se conclut comme d'habitude avec un mal de ventre suite à l'ingestion d'une trop grande quantité de patates pilées. Quviasugit Quviasuvimmi! Joyeux Noël à tous et à toutes!

jeudi 19 décembre 2013

On part de loin (suite)

Signée en 1975, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois devait répondre aux besoins de la province ET de la population au nord du 48e parallèle. D’un côté, le gouvernement octroyait une grande autonomie politique aux habitants nordiques tout en promettant des investissements de plus de 200M$. En contrepartie, toutes les ressources minières, hydrauliques et forestières du Nord passaient aux mains du Québec. J’imagine que ce semblait juste à l’époque, mais aujourd’hui il est clair que la population nordique s’est fait passer un sapin.

La situation des logements illustre bien cette réalité. Tel que mentionné auparavant, les Inuit sont locataires des logis construits par notre auguste gouvernement fédéral. 400$/mois permet d’accéder à un appartement clé en main. Selon des chiffres récents, il manque environ 900 habitations afin de satisfaire les besoins des Inuit au Nunavik. Le résultat? Des familles élargies de 8, 10, 15 personnes s’entassent au milieu de petites pièces sales et mal entretenues.

                                Les pâtés de maisons sont construits selon le même
                                          modèle afin de diminuer les coûts et j'ajoute qu'il
                                          ne faudrait pas susciter la jalousie du voisin.

Les conflits sont fréquents et violents dans les chaumières. En effet, qui d’entre nous aimerait vivre dans un 3 ½ avec 7 frères et sœurs, les parents, l’oncle, la tante et le grand-père?! Quoique si Hélène y était… Des gens de tous âges se mettent à consommer régulièrement afin d’échapper à leur réalité. Les plus vieux pour tromper l’ennui, les plus jeunes pour oublier la misère qui les attend à la maison.

Petit aparté par rapport à l’alcool. Jusqu’à tout récemment, les 14 communautés nordiques étaient « sèches ». Maintenant, il y a trois bars répartis dans deux villages (le plus gros de Kuujjuaq est affectueusement surnommé the Zoo). Ceux-ci servent bières et cocktails à des prix prohibitifs ce qui n’empêchent pas blancs et Inuit de s’en donner à cœur joie lors de longues nuits de débauche. Une façon comme une autre de dégeler le cœur de son iceberg de solitude… Une COOP de Kuujjuaq offre également des caisses de bière. Enfin, offrir est un grand mot puisqu’on parle de 65$ taxes incluses pour une 12 de Bleue ou de Bud. Il ne faut pas oublier le marché noir qui permet de faire des affaires d’or. Un petit 13oz de Bacardi à Kuujjuaq? 120$. La même flasque à Ivujivik tout en haut? Des rumeurs font état de 300-400$. Cela semble absurde à nos yeux, mais l’alcool semble être le seul et unique rempart au milieu de la détresse qui habite ces gens.

Bref, cette consommation est la source de tous les dangers à l’intérieur des demeures. Violence verbale et physique, fugues, agressions sexuelles… Et que se passe-t-il les rares fois où un individu est condamné pour violence ou agression sexuelle sur un membre de sa famille? Il purge sa sentence dans le Sud pour ensuite retourner dans le même village, la même maison…

Les lendemains de paie, l’absentéisme au travail est très élevé. C’est un fait connu et même banalisé. Parfois, l’eau n’est pas livrée, la fosse septique n’est pas vidée… Samedi midi, la caissière de l'épicerie me relatait que deux femmes saoules en étaient venues au coup devant elle le matin même.

                                    Vision courante dans les rues, spécialement
                                    lors des jours suivant la paye.

Il y a deux semaines, je suis invité au party de Noël du Centre de Santé de la Baie d'Ungava. Pour l'occasion, l'hôpital rassemble ses nombreux employés; la modique somme de 25$ vous donnant accès au buffet et à la piste de danse. Je me présente à 18h muni de mon estomac stratégiquement vide. La salle comprend une quizaine de tables, les Inuit étant réunis dans un coin autour de 4 d'entre elles. Les bouteilles de vin disposées sur leurs tables sont pratiquement vides. Je m'installe près d'eux et engouffre plusieurs assiettes remplies démesurément, des cris se mettent à fuser du coin. Une dame Inuk titube vers moi et demande -me supplie- de lui remettre le reste de vin de mes compagnons et moi. D'instinct, je refuse, mais j'accède rapidement à sa prière vu son insistance. Des hommes dorment sur la table, des femmes se déhanchent de manière grotesque sur la piste de danse... Éprouvant un certain malaise, je quitte à 21h et je ne suis pas le seul. J'apprendrai le lendemain qu'il y a eu du brasse-camarade dans les toilettes et il n'était même pas 23h. Semble-t-il que le scénario se répète à chaque année...

Tout cela ne vise pas à alimenter les préjugés envers les habitants du Nord; il ne faut pas généraliser! Reste qu'il y a certaines statistiques qui en disent long: Au Nunavik, 92% des enfants viennent au monde aux prises avec un certain degré du syndrome d'alcoolisation foetale. Quand je vous dis qu'on part de loin...

jeudi 12 décembre 2013

On part de loin


Généralement, les échos que nous recevons du Nord sont négatifs, voire décourageants. On fait mention de froid frigorifique, de pauvreté, de violence... Je me chargerai de séparer la réalité de la fiction.

La question qui brûle les lèvres de tout le monde fait bien sûr référence au froid. Les Inuit vouent un grand respect à Mère Nature. Ils ont adapté leur mode de vie aux conditions climatiques nordiques. Est-ce possible pour un blanc de survivre dans ces conditions? Bien sûr, et c'est même très agréable! Au plus fort de l'hiver, on parle d'une moyenne de température de -25C à Kuujjuaq. Climat sec, tout le contraire de l’humidité dérangeante de Montréal. Une belle journée ensoleillée offre des conditions idéales pour pratiquer une activité sportive. Cependant, le vent est sans contredit l'ennemi numéro 1 des novices. Il claque, gifle, brûle le visage. Ces rafales se combinent parfois à la neige pour former des blizzards. Je ne l'ai pas encore expérimenté, mais semble-t-il que le temps s'arrête; commerces et écoles fermés, avions cloués au sol, épiceries vidées…

Mais ce n’est pas le pire. En effet, chaque matin du lundi au vendredi, deux camions passent à chaque maison/bloc appartement du village. L’un remplit le réservoir d’eau, l’autre vide la fosse septique. Au hasard de certains matins, ils décident parfois de ne pas passer. Lors d’un blizzard de 3-4 jours, nous pouvons les oublier… Rassurez-vous, c’est peu fréquent. Reste que la collaboration des voisins est essentielle. La photo ci-jointe fait d’ailleurs état de notre réservoir vide lundi matin puisque mon coloc prend des douches interminables tout en faisant fi de l’interdiction de faire du lavage la fin de semaine. Je crois qu’il a eu sa leçon…

La conduite n'est pas facile également. Les routes sont glissantes, la visibilité est réduite. On aperçoit fréquemment des voitures prisonnières de la neige sur le côté de la rue. Il faut souligner que l'alcool est parfois la cause de ces sorties de route. Par ailleurs, les policiers ne peuvent nous prendre en défaut les conducteurs pour excès de vitesse ou le port de la ceinture. Néanmoins, l'alcool au volant est sanctionné. Mon collègue a embouti sa voiture à 2 reprises en 2 heures vendredi dernier. J'ai immortalisé la 2e fois. À la vue de la 3e photo, les inspecteurs de l'Office de la Langue Française vont se précipiter à Kuujjuaq en catastrophe!

Alors que le soleil se couche à 15h en hiver, en été, il termine son cycle passé minuit. Semble-t-il que des journées de 30C m'attendent en juillet. Beau contraste.

On poursuit les défis lors du prochain envoi!

mardi 3 décembre 2013

On se situe

Dans les semaines précédant mon départ, plusieurs personnes m'ont demandé de tenir un compte-rendu de mon aventure nordique. Pour moi, la véritable raison d'être de ce blogue sera de vous faire découvrir une région et ses habitants tout à fait méconnus des Québécois. Je ne peux être assidu présentement puisque je n'ai pas encore reçu mon laptop de travail et les journées de travail sont chargées. Je dois tout faire avec mon cellulaire et une connexion internet déplorable; courriels, magasinage en ligne, pools sportifs...

Et oui, Le Nunavik fait bel et bien partie de notre belle province! 11 000 habitants répartis à travers 14 communautés plus ou moins grandes. Pas de route entre celles-ci, on ne se déplace qu'en avion. Bordé à l'ouest par la baie d'Hudson et à l'est par la Baie d'Ungava, il comprend autant Aupaluk et ses 200 habitants que Kuujjuaq et ses 3000 âmes. La majorité de ces villages a été fondée en même temps que des postes de traite au courant du XXe siècle.

Mais il ne faut pas oublier que les Inuit sont ici depuis plusieurs années. Traditionnellement nomades, ils vivaient de pêche et de chasse et habitaient des igloos. Ça confirme les stéréotypes, n'est-ce-pas? Attention, ce n'est aujourd'hui plus le cas! Maintenant sédentaires, les Inuit habitent des logements modiques subventionnés par le gouvernement. Pour 400$ par mois, ils sont locataires d'un appartement chauffé, éclairé et tout. Ce qui leur laisse bien de l'argent à dépenser sur autre chose. On y reviendra...

De plus, les Inuit occupent dorénavant des postes dans le domaine de l'administration, la voirie, l'enseignement... D'ailleurs, avis aux intéressé(e)s, les ecoles embauchent de nouveaux talents. En fait, on recherche de la main d'oeuvre partout; des médecins, des travailleurs sociaux, des infirmières, des personnes habiles de leurs mains... L'air est pur, la paie est bonne et il n'y a pas de pont Champlain à traverser pour se rendre au travail. Ils accommodent même aisément les conjoints/familles en fournissant des logements proprement meublés. Qui sait? J'arriverai peut-être à rallier quelques personnes avec le récit de mon aventure.

Une chose est sûre, les défis sont multiples et complexes. D'ailleurs, je joins une photo du chien de ma voisine qui a instauré un régime de terreur au pied de l'escalier menant à mon appartement. On en retrouve beaucoup de ce type dans les rues à Kuujjuaq puisque c'est dans la culture inuit de laisser son chien en liberté devant la maison. Hier, je me suis fait pourchasser par 2 chiens qui semblaient adorables jusqu'au moment où ils se se sont mis à grogner en cherchant à me sauter au visage. Je n'avais aucune idée qu'un chien courait si vite. Ils se sont même enfuis avec mon chapeau qui était tombé par terre. J'ai pu récupérer celui-ci au peril de ma vie. Bon, plusieurs personnes me disent que tous les chiens sont amicaux, qu'ils veulent simplement nous sentir. J'imagine que ça fait partie de l'initiation pour les nouveaux arrivants. Je pense m'en procurer un éventuellement, notamment afin de m'assister durant la période de chasse.

Les challenges du Nord seront donc le sujet de mon prochain envoi. Assunai!