jeudi 19 décembre 2013

On part de loin (suite)

Signée en 1975, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois devait répondre aux besoins de la province ET de la population au nord du 48e parallèle. D’un côté, le gouvernement octroyait une grande autonomie politique aux habitants nordiques tout en promettant des investissements de plus de 200M$. En contrepartie, toutes les ressources minières, hydrauliques et forestières du Nord passaient aux mains du Québec. J’imagine que ce semblait juste à l’époque, mais aujourd’hui il est clair que la population nordique s’est fait passer un sapin.

La situation des logements illustre bien cette réalité. Tel que mentionné auparavant, les Inuit sont locataires des logis construits par notre auguste gouvernement fédéral. 400$/mois permet d’accéder à un appartement clé en main. Selon des chiffres récents, il manque environ 900 habitations afin de satisfaire les besoins des Inuit au Nunavik. Le résultat? Des familles élargies de 8, 10, 15 personnes s’entassent au milieu de petites pièces sales et mal entretenues.

                                Les pâtés de maisons sont construits selon le même
                                          modèle afin de diminuer les coûts et j'ajoute qu'il
                                          ne faudrait pas susciter la jalousie du voisin.

Les conflits sont fréquents et violents dans les chaumières. En effet, qui d’entre nous aimerait vivre dans un 3 ½ avec 7 frères et sœurs, les parents, l’oncle, la tante et le grand-père?! Quoique si Hélène y était… Des gens de tous âges se mettent à consommer régulièrement afin d’échapper à leur réalité. Les plus vieux pour tromper l’ennui, les plus jeunes pour oublier la misère qui les attend à la maison.

Petit aparté par rapport à l’alcool. Jusqu’à tout récemment, les 14 communautés nordiques étaient « sèches ». Maintenant, il y a trois bars répartis dans deux villages (le plus gros de Kuujjuaq est affectueusement surnommé the Zoo). Ceux-ci servent bières et cocktails à des prix prohibitifs ce qui n’empêchent pas blancs et Inuit de s’en donner à cœur joie lors de longues nuits de débauche. Une façon comme une autre de dégeler le cœur de son iceberg de solitude… Une COOP de Kuujjuaq offre également des caisses de bière. Enfin, offrir est un grand mot puisqu’on parle de 65$ taxes incluses pour une 12 de Bleue ou de Bud. Il ne faut pas oublier le marché noir qui permet de faire des affaires d’or. Un petit 13oz de Bacardi à Kuujjuaq? 120$. La même flasque à Ivujivik tout en haut? Des rumeurs font état de 300-400$. Cela semble absurde à nos yeux, mais l’alcool semble être le seul et unique rempart au milieu de la détresse qui habite ces gens.

Bref, cette consommation est la source de tous les dangers à l’intérieur des demeures. Violence verbale et physique, fugues, agressions sexuelles… Et que se passe-t-il les rares fois où un individu est condamné pour violence ou agression sexuelle sur un membre de sa famille? Il purge sa sentence dans le Sud pour ensuite retourner dans le même village, la même maison…

Les lendemains de paie, l’absentéisme au travail est très élevé. C’est un fait connu et même banalisé. Parfois, l’eau n’est pas livrée, la fosse septique n’est pas vidée… Samedi midi, la caissière de l'épicerie me relatait que deux femmes saoules en étaient venues au coup devant elle le matin même.

                                    Vision courante dans les rues, spécialement
                                    lors des jours suivant la paye.

Il y a deux semaines, je suis invité au party de Noël du Centre de Santé de la Baie d'Ungava. Pour l'occasion, l'hôpital rassemble ses nombreux employés; la modique somme de 25$ vous donnant accès au buffet et à la piste de danse. Je me présente à 18h muni de mon estomac stratégiquement vide. La salle comprend une quizaine de tables, les Inuit étant réunis dans un coin autour de 4 d'entre elles. Les bouteilles de vin disposées sur leurs tables sont pratiquement vides. Je m'installe près d'eux et engouffre plusieurs assiettes remplies démesurément, des cris se mettent à fuser du coin. Une dame Inuk titube vers moi et demande -me supplie- de lui remettre le reste de vin de mes compagnons et moi. D'instinct, je refuse, mais j'accède rapidement à sa prière vu son insistance. Des hommes dorment sur la table, des femmes se déhanchent de manière grotesque sur la piste de danse... Éprouvant un certain malaise, je quitte à 21h et je ne suis pas le seul. J'apprendrai le lendemain qu'il y a eu du brasse-camarade dans les toilettes et il n'était même pas 23h. Semble-t-il que le scénario se répète à chaque année...

Tout cela ne vise pas à alimenter les préjugés envers les habitants du Nord; il ne faut pas généraliser! Reste qu'il y a certaines statistiques qui en disent long: Au Nunavik, 92% des enfants viennent au monde aux prises avec un certain degré du syndrome d'alcoolisation foetale. Quand je vous dis qu'on part de loin...

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